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Déclaration de créance des conséquences de la résiliation et aggravation des obligations du débiteur (Cass. com., 3 juillet 2024, n° 23-13.169)

[09/10/2024]

La décision de l'administrateur judiciaire de ne pas user de la faculté de poursuivre un contrat en cours peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant qui doivent être déclarés au passif. Il n’y a pas lieu au rejet de la créance déclarée dès lors que la clause répare le préjudice subi par la banque du fait de la résiliation de la convention de compte courant.

Les contrats bancaires stipulent généralement diverses indemnités liées à une exigibilité anticipée des concours consentis, ou à l’obligation de produire à une procédure d’ordre ou de déclarer une créance au passif de leur débiteur. Ces clauses sont la source d’un contentieux considérable, car elles font l’objet d’une contestation quasi systématique lorsque sur leur fondement, une créance est déclarée au passif de la procédure collective d’un débiteur. Il est vrai que pendant une période assez longue, un regard très négatif a été porté sur elles. Tel était précisément le cas en l’espèce.

Le 2 avril 2022, la société Ménager en défauts d'aspects – Distribution (la société MDA) a été mise en sauvegarde. L'administrateur judiciaire a demandé à la Banque européenne du Crédit mutuel (la banque) de clôturer un compte courant dont la société MDA était titulaire dans ses livres et sur lequel la banque lui avait consenti une facilité de caisse.

La convention de compte stipulait, à la charge de l'emprunteur, en cas d'exigibilité immédiate des concours consentis ou si la banque était tenue de produire à un ordre ou distribution judiciaire quelconque, une indemnité de 5 % du montant dû. La banque a clôturé le compte et déclaré une créance correspondant au solde et à l'indemnité conventionnelle de 5 %, laquelle a été contestée.

Les juges du fond ont jugé que la clôture du compte supportant la facilité de trésorerie a été demandée pendant la procédure de sauvegarde par l'administrateur. Ils ont retenu que s'il était fait application de l'article 8-3 des conditions générales, il en résulterait une aggravation de la situation de la société MDA alors même qu'elle n'était pas défaillante lors du jugement prononçant la mesure de sauvegarde ni lors de la demande de clôture du compte par le mandataire. En conséquence, la clause a été anéantie et par voie de conséquence la créance d’indemnité de 5%, qui avait été contestée, a été rejetée.

La banque a formé un pourvoi en cassation, en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, ainsi qu’elle y était invitée, si l'indemnité déclarée ne réparait pas le préjudice subi par la banque du fait de la résiliation de la convention de compte courant par l'administrateur de sa cliente, de sorte que la clause contractuelle litigieuse précisant ses modalités de calcul devait s'appliquer. En procédant de la sorte, selon le pourvoi,  la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-13, V du Code de commerce , dans sa version issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014.

La Cour de cassation va suivre l’argumentation du pourvoi et censurer en conséquence, au visa de l'article L. 622-13, V du Code de commerce, la décision de la cour d’appel, en ces termes : « Selon ce texte, la décision de l'administrateur judiciaire de ne pas user de la faculté de poursuivre un contrat en cours peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant qui doivent être déclarés au passif. Pour rejeter la créance déclarée au titre de l'indemnité conventionnelle, l'arrêt retient que la clôture du compte supportant la facilité de trésorerie a été demandée pendant la procédure de sauvegarde par l'administrateur judiciaire et que s'il était fait application de l'article 8-3 des conditions générales de compte, il en résulterait une aggravation de la situation de la société MDA alors même qu'elle n'était pas défaillante lors du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde ni lors de la demande de clôture de compte par le mandataire.

En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé. Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette la créance déclarée au titre de l'indemnité conventionnelle de 5 % ».

On se souvient d’un important arrêt rendu par la Cour de cassation qui a posé en principe qu’« est interdite toute clause qui modifie les conditions de poursuite d’un contrat en cours en diminuant les droits ou en aggravant les obligations du débiteur du seul fait de sa mise en redressement judiciaire ». En vertu du principe posé, est donc nulle la clause d’un contrat d’assurance stipulant que l’assureur ne garantissait pas la perte de valeur vénale du fonds de commerce consécutive à un sinistre survenu après ouverture d’une procédure collective. Cet arrêt devait d’alleurs inspirer directement le législateur en 2014 puisque, en matière de mandat ad hoc ou de conciliation, l’article L. 611-16 , depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, dispose que « Est réputée non écrite toute clause qui modifie les conditions de poursuite d'un contrat en cours en diminuant les droits ou en aggravant les obligations du débiteur du seul fait de la désignation d'un mandataire ad hoc en application de l'article L. 611-3  ou de l'ouverture d'une procédure de conciliation en application de l'article L. 611-6  ou d'une demande formée à cette fin ».

On se souvient aussi ensuite d’un important arrêt de la Chambre commerciale du 22 février 2017 , dans lequel elle a jugé que « saisie d’une demande de fixation d’une créance correspondant au capital prêté dans son intégralité et à échoir, ce dont il résultait que le prêt n’était pas exigible à la date du jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde de la débitrice et que cette dernière n’était pas défaillante dans l’exécution de ses obligations, la cour d’appel, après avoir relevé que, selon la clause litigieuse d’indemnité de recouvrement de 5 % était due si la banque se trouvait dans la nécessité de recouvrer sa créance par les voies judiciaires ou autres, et également si la banque était tenue de produire à un ordre de distribution quelconque, notamment en cas de redressement judiciaire de l’emprunteur, en a exactement déduit qu’en l’espèce, une telle clause aggravait les obligations de la débitrice en mettant à sa charge des frais supplémentaires du seul fait de sa mise en sauvegarde ».

C’est indiscutablement cet arrêt qui avait fondé les prétentions du débiteur et qui avait conduit la cour d’appel à juger, après avoir relevé que la clôture du compte supportant la facilité de trésorerie a été demandée pendant la procédure de sauvegarde par l'administrateur, que s'il était fait application de l'article 8-3 des conditions générales, il en résulterait une aggravation de la situation de la société MDA alors même qu'elle n'était pas défaillante lors du jugement prononçant la mesure de sauvegarde ni lors de la demande de clôture du compte par le mandataire. En conséquence, la clause a été anéantie et par voie de conséquence la créance d’indemnité de 5%, qui avait été contestée, a été rejetée.

Faut-il voir dans l’arrêt rapporté un abandon de cette jurisprudence, qui avait certes ajouté aux textes de loi, mais faisait application d’un juste principe interdisant de sanctionner un débiteur par l’augmentation de ses obligations du seul fait de son placement sous procédure collective, alors qu’il n’était pas défaillant auparavant ?

Les faits de l’espèce sont différents. Dans l’arrêt de 2017, il était question d’une clause d’un contrat de prêt stipulant une indemnité de 5 % pour production à un ordre ou obligation de déclaration d’une créance au passif. Ce prêt, qui n’est pas soumis aux règles de continuation des contrats en cours, n’était pas exigible et n’était pas en retard d’exécution au jour de l’ouverture de la procédure de sauvegarde. Mais, comme il fallait déclarer au passif la créance de remboursement issue du prêt, automatiquement et par le seul effet de la procédure collective, l’indemnité de 5% devenait exigible et augmentait à due concurrence les obligations du débiteur du seul fait de son placement sous procédure collective.

En l’espèce, il n’était pas question d’un prêt, mais un contrat de compte courant. Trouvaient dès lors application les règles de continuation des contrats en cours. Si le contrat n’est pas continué, le Code de commerce (art. L 622-13,V) prévoit que « Si l'administrateur n'use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation est prononcée en application du IV, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif ». Sur le fondement de ce texte, le partenaire contractuel est donc autorisé à déclarer une créance d’indemnité au passif.

C’est donc la simple application de l’article L. 622-13,V du Code de commerce qui était ici revendiquée par le cocontractant. Il n’était donc pas question de majoration des obligations du débiteur par l’effet de l’ouverture de la procédure collective, mais d’une stipulation contractuelle prévoyant une indemnisation du cocontractant en cas de résiliation du contrat, indépendante du fait qu’elle trouvait application à l’occasion d’une procédure collective. La procédure collective n’était que le théâtre de l’application de la clause ; elle n’était pas sa cause.

On peut cependant formuler plusieurs observations.

Tout d’abord, si la cause était prévue en cas de résiliation du contrat, il fallait que celle-ci existe. Or, si l’administrateur judiciaire a opté spontanément pour la non continuation du contrat, il n’y a pas résiliation du contrat. Cela ouvre seulement au cocontractant la possibilité de faire prononcer la résiliation. Dans ces conditions, un problème se pose de déclarer au passif une indemnité de résiliation qui n’avait peut-être pas encore pris corps.

Ensuite, la Cour de cassation a jugé que si la créance résultant d'une clause de majoration d'intérêts dont l'application résulte du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective ne peut être admise au passif, en ce qu'elle aggrave les obligations du débiteur en mettant à sa charge des frais supplémentaires, tel n'est pas le cas de la clause qui sanctionne tout retard de paiement . Or il n’était pas ici précisé que la clause stipulée l’avait été pour cause de résiliation du contrat consécutive à une option de non continuation du contrat.

Enfin, le débiteur et le mandataire judiciaire auraient été inspirés à plaider le caractère manifestement excessif d’une clause pénale prévoyant une majoration de 5 % des obligations du débiteur en cas de rupture contractuelle, car on peut se demander où se trouve exactement le préjudice du banquier lorsque le prêteur ne continue pas le contrat de compte, même si celui - ci comporte une faculté de trésorerie, alors que, le plus souvent, des frais sont prélevés lors de la mise en place de la faculté de trésorerie.

On le voit, les moyens du débiteur et du mandataire judiciaire existaient pour combattre une telle clause augmentative des obligations du débiteur, qui reste valable puisqu’elle n’était pas stipulée pour cause d’ouverture d’une procédure collective, mais qui peut, on le voit, être néanmoins mise à mal en utilisant les bons arguments.

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